Bienvenue dans ce premier épisode d’une série d’articles qui accompagneront le développement d’Exil seconde édition jusqu’à, je l’espère, sa parution aux éditions John Doe. L’idée est de partager avec vous les différentes phases de ce travail de longue haleine, de la conception à la réalisation graphique, puis enfin, à la sortie physique.
Dans ce premier article, je reviens sur la genèse d’Exil et sur les réflexions à la base de cette v2, alimentées par les retours faits au jeu originel. C’est un peu long, je m’en excuse d’avance.
A l’origine du projet
Exil est un jeu de rôle d’inspiration steampunk – sans la partie uchronique puisque l’univers du jeu n’est pas le nôtre, mais une lointaine planète – couplée à une ambiance plutôt sombre et (plus que) légèrement lovecraftienne. C’est un mélange de science déviante et de fantastique onirique qui a pour cadre principale Exil, une gigantesque ville d’acier bâtie par des esclaves humains sur les restes de l’antique nécropole de la race disparue qui les a arrachés à leur monde d’origine. C’est clairement un mélange de nombreuses inspirations qui a mis très longtemps à maturer.
J’ai déjà rapidement évoqué dans un article précédent le processus qui a conduit à l’édition d’Exil. J’en rappelle quelques points ici. Le jeu est sorti chez Ubik (aujourd’hui Edge) en juin 2005. A l’époque, publier Exil était inespéré. Sa rédaction avait commencé quelques années plus tôt, d’abord en solo, puis en compagnie de Monsieur Antoine Bauza. Une fois bouclée avec Antoine une nouvelle version, nous avons démarché les éditeurs. Malgré de très chouettes coups de pouce (merci à Croc qui nous a soutenu), le jeu n’a pas trouvé d’éditeur et la décision fut prise de le mettre en ligne gratuitement. C’était le bon moment, celui de la vague “jeu de rôle amateur” avant l’arrivée de la POD et du crowdfunding (le bon vieux temps, comme disent les vieux cons, dont je suis).
C’est sur la base de cette version – encore disponible aujourd’hui dans ma page de Téléchargements – que s’est agrégée une équipe de passionnés qui donna naissance au studio Ballon-Taxi : John Grümph, Christophe Costard, James Crook, Matthieu Gonbert, Cécile Maurin, Pascal Guillout, Pitche et toujours, Antoine Bauza. Le jeu a été développé sans perspective d’édition. L’idée était de mettre dedans tout ce dont on avait envie et de se soucier ensuite d’une éventuelle publication. Lorsqu’Ubik nous a dit banco, nous avons juste cherché à faire le livre le plus complet (comprendre : “ras-la-gueule”) que nous pouvions concevoir. Ubik nous a fait confiance et nous a laissé carte blanche, ce dont nous ne les remercierons jamais assez.
Pourquoi une v2 ?
Exil eut un accueil, je crois, plutôt enthousiaste et des ventes correctes. Une surprise et un plaisir au vu de notre angoisse avant la sortie du jeu.
Malheureusement, la gamme physique n’est pas allé plus loin que la sortie de l’écran et son livret. Un supplément PDF, la guerre des boulons, compléta la gamme en offrant une optique de jeu particulière avec la proposition d’incarner une bande d’enfants des rues livrés à eux-mêmes dans le dédale exiléen. Si plusieurs scénarios officiels étaient également disponibles en ligne, et que très vite, une véritable communauté s’est formée et a contribué à alimenter l’univers, la gamme papier resta en l’état.
De nombreuses raisons ont joué : la fatigue après un bouclage marathon du livre de base ; les soucis de santé, déjà ; les envies de faire autre chose après plusieurs années consacrées à Exil. Nous n’avons pas ouvert l’équipe assez vite, nous nous sommes dispersés et le temps a passé. Dérives Urbaines, le gros supplément d’Exil pourtant écrit à plus de 80% et doté d’une magnifique couverture signée Monsieur Andreas, ne vit donc jamais le jour malgré les relances d’Ubik, tout à fait prêt à soutenir la gamme. Exil en resta donc là, à moitié développé, avec plusieurs projets de suppléments (une campagne, une somme sur l’océan exiléen, un vaste guide de Forge…) plus ou moins entamés. Le proto d’un jeu de plateau désigné par Antoine a même circulé en conventions.
Même avec les meilleures raisons du monde, j’ai eu personnellement le sentiment d’avoir trahi les fans du jeu, au premier rang desquels notre inusable ami d’Outre-Quiévrain, Pitche, qui a soutenu ardemment le jeu depuis ses débuts. Une véritable nostalgie pour cette époque de développement tous azimuts, parfois maladroit, souvent naïf, toujours frais et enthousiasmant. Je repasse le message ici, je ne sais pas si je l’ai suffisamment dit à l’époque à tous ceux qui ont participé à l’aventure Ballon-Taxi : je vous aime fort, les gens !
Plus d’une décennie plus tard et avec l’aventure John Doe toujours en cours, on a acquis quelques XP en conception et édition de jeux de rôle. Il était donc temps de revenir en Exil, de revisiter l’univers et de concevoir un nouveau bouquin..
“Y a un peu plus, je laisse ?”
Exil a beau avoir été bien accueilli, il y eut naturellement des critiques. Et la première des choses à faire quand on décide de créer une seconde édition, c’est de les prendre en compte afin de déterminer si elles sont fondées et peuvent donc servir de base à des améliorations.
Je le disais plus haut, quand Ballon-Taxi s’est créé, nous avons mis dans Exil tout ce dont nous avions envie. Peut-être parfois trop. On voulait un bouquin plein à ras bord, généreux, bourré d’aides de jeux et de petits bouts d’univers, d’où les publicités, les menus de restaurant, les fiches zoologiques ou botaniques, les catalogues de mode ou de flingues, les extraits de romans ou d’ouvrages exiléens.
L’obsession était de rendre Exil palpable et la profusion était l’une des clés de cette approche : sentir la ville et ses particularités par la vie quotidienne, la nourriture, la mode vestimentaire, les petites habitudes de ses habitants. Une exhaustivité qui a, à mon sens, servi l’univers, nous obligeant à résoudre des questions logiques, finissant ainsi de le stabiliser.
Le seul souci, dans cette profusion, c’est que l’accessibilité de l’univers a été quelque peu oubliée. A l’image d’une création de personnage foisonnante mais qui perd le lecteur qui ne connaît pas l’univers – soit toute personne venant juste d’ouvrir le livre, c’est ballot. On lui propose de jouer un “secrétaire de stalyte” ou “un ex-scientiste” sans jamais lui dire ce que cela implique ou signifie. Le fait que nous ayons dû, plusieurs mois après la sortie du jeu, concevoir un “livre du joueur” en PDF pour aider les MJ à présenter l’univers à leurs joueurs, témoigne de ce fait.
Le maître mot de la v2 est donc Accessibilité : réussir à ne pas perdre en richesse tout en permettant au lecteur de mieux appréhender l’univers. Cela passera notamment par le graphisme, avec l’ambition de présenter ou d’appuyer par l’image certains concepts clés (la verticalité d’Exil, sa mobilité au coeur de l’idéal ingénierique). Il faudra notamment des plans : à quoi ressemblent un bloc d’habitation, une passerelle mobile, un appartement modeste ou au contraire aisé, un centre ingénierique, une salle de lecture de la Bibliothèque universelle ou les rayonnages du BazMo ?
Au niveau de l’agencement du jeu, on essaiera d’être aussi didactique que possible. Un exemple concret : des archétypes prêts à jouer, représentatifs de l’univers, seront proposés. Rien n’empêchera de créer in extenso son personnage, mais disposer de cette galerie de portraits jouables permettra un démarrage plus aisé.
Mais qu’est ce qu’on joue ?
Corollaire du précédent, c’est un aspect qui revient souvent dans les critiques faites au jeu. C’est super, c’est touffu, y a plein de trucs, mais on joue quoi ? Plus qu’un jeu, nous voulions en fait un “livre univers” : ne surtout pas faire d’Exil un jeu à missions, ne fermer aucune porte, permettre aux joueurs d’explorer tous les aspects qui les séduiraient, laisser le meneur de jeu choisir le type de campagne le plus adapté à sa vision du jeu. Faire de l’espionnage centré sur les relations Exil – Forge ? Ok. Faire du polar noir dans les ruelles suspendues ? Pas de souci. Vous êtes plutôt réalisme social et bac à sable dans le port d’Exil ? Nickel… Votre truc, ce sont les enquêtes surnaturelles dans la haute société décadente ? On a.
Le souci, c’est que beaucoup de joueurs nous ont reproché de ne pas avoir proposé d’axes de jeu forts. Or, nous avions bien un fil rouge : le Syndrome d’Hypersensibilité Chronique (SHC), que nous avons toujours considéré comme un élément primordial au cœur du jeu. Cette affection, qui rend insomniaques ceux qui en sont touchés (les personnages des joueurs, naturellement) et qui va de pair avec la sensation aiguë de l’anormalité d’Exil et la curiosité d’en découvrir les secrets, est mal présentée. Elle est introduite comme une option. Certains l’ont vu comme un ajout de dernière minute destiné à régler le problème du “et on joue quoi ?”. Ce n’était pas le cas, mais de fait, cette présentation en encart en donna l’impression.
Dans la v2, le SHC sera une composante essentielle du jeu et son moteur principal.
“Cette ville ne peut pas exister !”
Une autre critique, bien plus minoritaire, c’est que le cœur de l’univers, la cité d’Exil elle-même, est débile : son existence est impossible, elle n’est pas réaliste, on y croit pas. C’est une critique beaucoup plus gênante, qui me fait dire qu’on a loupé quelque chose dans la présentation même de “l’esprit” du jeu.
En effet, cette ville ne peut pas exister. Scientifiquement, c’est une aberration. Et pourtant elle est là ! C’est le cœur du jeu, son fondement, la raison pour laquelle certains exiléens ne dorment plus la nuit (le SHC) ou s’enfoncent dans l’apathie (le Détachement). Exil ne peut pas exister ! Le seul fait qu’elle soit là engendre une forme de folie propre aux exiléens et j’espère que ce message passe dans le jeu. Ces quelques critiques prouvent que certains lecteurs ont essayé de “rationaliser” la cité : “elle fait X kilomètres de haut, ça veut dire qu’elle pèse tant et que…”. Or tout le jeu repose sur ces impossibilités scientifiques. Les exiléens s’abrutissent de spectacles et de débauche pour oublier que rien ne justifie la survie de leur ville et que, demain, elle pourrait tout à fait sombrer dans les flots, rattrapée par les lois de la physique.
Là ou je suis un peu inquiet, c’est que cette rationalisation, cette quête de réalisme, a été au coeur des discussions ayant abouti à cette version “commerciale”. Si l’on reprend la version d’origine, elle est volontairement plus floue, plus onirique, plus fantastique. La hauteur d’Exil n’est pas fixée, il est clairement établie que personne ne sait qui dirige la cité et que tout le monde s’en fout, et ainsi de suite… Pour la version pro, il a été assumé de sortir un peu Exil de sa brume et de la concrétiser. Gagner en réalisme (ajout des îles extérieures par exemple), en précision, en détails … tout en essayant de garder son identité fantastique, improbable. La raison principale de ce travail d’ancrage ? Le côté “cliché” de la ville onirique, qui nous gênait un peu. Nous avions peur d’être accusés de facilité en laissant dans l’ombre certains questionnements logiques.
Au final, avons nous bien fait ? Avons nous réussi ce mariage ? La ville aurait-elle gagné à rester clairement irréelle ? Le fait de la concrétiser a-t-elle entraîné cette image d’une ville “réaliste mais ratée” ressentie par certains ? Cette critique étant loin d’être majoritaire, je pense que ce n’est pas le cas, mais j’ai quand même pris cet aspect en considération pour la v2.
Et donc, le choix de la seconde édition est de repartir vers une version plus fantasmagorique d’Exil. Attention, les acquis ne seront pas abandonnés (parce qu’il sont chouettes) : les îles extérieures ou les partis politiques d’Exil ne vont pas disparaître. Mais l’ambiance sera clairement réorientée vers l’irréel, l’intangible… Ce sera le coeur de la proposition, sans que le reste ne soit abandonné. Tout sera toujours possible mais le livre proposera un axe narratif fort.
En conclusion
Que reprocher d’autre à la v1 ? Pas grand chose. Le système de jeu tourne – on regrettera peut-être des maniérismes sur le système de combat qui invite à “inverser” le système. Depuis, les goûts ont changé et on a découvert et testé d’autres choses. La question de garder ou de remplacer le système est donc encore ouverte. Je testerais d’ailleurs une proposition aux 31èmes rencontres du club Pythagore, en novembre (différente de celle utilisée l’année dernière au même endroit).
Et donc c’est pour quand ? Pas tout de suite ! Si la conception est bien avancée, il reste à finaliser les textes et ensuite à lancer un chantier graphique qu’on imagine déjà pharaonique, si on veut illustrer tout ce qu’on a en tête. Imaginez, John Grümph prévoit déjà de redessiner toutes les lames de Manigance ! Et il y aura les plans. Et les pleines pages. Et les prêts à jouer. Et un écran…
Le chemin sera encore long mais il est, pour moi, passionnant et je partagerais régulièrement avec vous ses avancées, ses choix, ses possibles errements…
A très vite !
Crédieu d’Nom d’Dieu ! Je suis le seul à avoir envie d’être dans le futur pour me procurer la prochaine version ?
PS : au niveau de la publication, comment la gamme est prévue ?
Merci à vous de ce retour. Pour l’instant, les aspects pratiques sont encore flous. Peut-etre une précommande, cela reste à décider.